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Plateforme SHERPA

UN ESPACE D'ECHANGES MULTI-ACTEURS QUI CHANGE LA VISION SUR LA RURALITE

Dans le cadre du projet européen SHERPA, une plateforme animée par le CIHEAM/IAMM de Montpellier* avec l'appui du Réseau rural régional réunit depuis 2020 une diversité d’acteurs de la ruralité de notre région pour débattre de leur vision de l’avenir de nos territoires ruraux pour les 20 prochaines années et faire des propositions pour une meilleure prise en compte des spécificités des zones rurales dans les politiques européennes.

* Le Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes (CIHEAM) est une organisation intergouvernementale méditerranéenne dédiée à l'agriculture durable, la sécurité alimentaire et nutritionnelle et au développement des territoires ruraux et côtiers.

+ d'infos sur les travaux de la plateforme régionale et le projet SHERPA.

Echanges croisés entre trois des acteurs de la plateforme Sherpa en région Sud : Eric BLOT, Directeur du Parc Naturel Régional des Alpilles, Bastien GIRAUD, Directeur de la Fédération Nationale des Bistrots de Pays et Jean-Pierre ROLLAND, Animateur de la plateforme.

Pourquoi avoir accepté de participer à ce projet de dialogue multi-acteurs sur l’avenir des zones rurales ? Qu’en attendiez-vous / quelles étaient vos attentes ? Ont-elles été satisfaites ?

B. Giraud : Pour participer à ce changement de regard porté sur l’espace rural, et plus globalement sur des espaces à faible densité de population, comme le définit l’INSEE. L’objectif est de changer la vision sur la ruralité. Et c’est une vision qui est parfois soit très « folklorisante », soit très « misérabiliste ». Il est essentiel qu’il n’y ait pas un regard porté par la ville sur la ruralité, mais une vision de ce qu’il se passe concrètement dans les zones rurales. Ce dialogue entre la recherche/ le monde académique et des gens « de terrain », issus de la société civile, c’est plus intéressant. On évite l’entre-soi.

Pour ma part, je n’avais pas d’attente particulière, si ce n’est qu’il y a un besoin de « lobbying », de porter la voix de la ruralité. Il existe une prépondérance du fait métropolitain dans la pensée dominante. Certes, à l’échelle nationale, il y a des associations qui y contribuent comme Nouvelles ruralités ou l’Association des Maires Ruraux. Tout ce qui permet de porter un regard sur ces espaces ruraux qui regroupent une très grande partie du territoire français et européen, et une part majoritaire de la population, est bénéfique.

E. Blot : Tout ce qui concourt à mieux faire connaître/comprendre les enjeux de la ruralité est important. Que ce soit l’enjeu du changement climatique ou le besoin de proximité des politiques publiques. Tout le monde s’accorde à dire que, sur le changement climatique, ce sont des solutions locales qui sont les plus efficaces/efficientes, à court terme. Dans ce jeu-là, la ruralité a forcément des cartes à jouer. Mais participer à cette plateforme offre d’autres avantages, à commencer par la démarche « bottom up » qui nous est proposée, pas si fréquente que ça ! Avoir une relation de proximité entre ce que l’on fait dans les espaces ruraux et l’échelon européen, cela a un côté séduisant. Autre avantage : la pluridisciplinarité dans la composition de la plateforme, la diversité des points de vue et des profils des personnes qui y participent. C’est toujours intéressant de croiser les regards, de sortir de l’entre-soi, ou de son réseau professionnel et de se « mettre en danger » dans les plateformes de ce type-là. Cela permet d’avoir une liberté de parole très appréciable. 

JP Rolland : Dans le cadre de la réflexion initiée par l’Union européenne sur la vision à long terme pour les zones rurales, il y avait un besoin fort de faire le lien avec les espaces ruraux. C’était intéressant de donner la parole aux territoires ruraux. Or, il existe peu de cadre de ce type, où l’on confronte des points de vue émanant de chercheurs, de décideurs publics et de la société civile/secteur privé. De plus, il y avait une belle écoute dans cette plateforme, ce qui n’est pas toujours le cas. Le succès de la démarche tient aussi au fait que la plateforme a été construite en région Sud avec le Réseau rural, qui est en lien direct avec les acteurs des territoires ruraux. Cela a permis d’identifier les bons interlocuteurs. Du côté du CIEHAM, nous avons fait le lien avec le monde de la recherche. 

Les objectifs qui étaient fixés par l’Union Européenne et le chef de file du projet (Ecorys) ont été atteints : transmettre la parole des territoires ruraux ou plutôt de certains territoires ruraux auprès de la Commission Européenne pour influer sur la construction des politiques rurales. Mais nous avons aussi atteint nos propres objectifs, à savoir : répondre aux attentes des territoires ruraux eux-mêmes. Pour y parvenir, notre plateforme a pu « discuter, déconstruire et reconstruire » le cadre préalablement posé ! On a ainsi fait des contre-propositions, d’ailleurs bien accueillies !

Selon vous, quels ont été les principaux acquis/apports de cette plateforme ?

B. Giraud : Très rapidement, on a parlé de gouvernance. Et même si ça nous dépasse un peu, c’est la question centrale pour conduire les changements liés aux enjeux environnementaux. On recense de nombreuses études qui posent des tas de constats. Aujourd’hui, il faut trouver des solutions pour accélérer. Et pour accélérer, il faut rendre tout cela plus efficient, par une rénovation de la gouvernance.

E. Blot : Si on accepte de jouer ce jeu, c’est que l’on est conscient qu’on « sème les graines », qui dans tous les cas, à un moment donné, créent une référence. Les choses se font aussi par « petits pas successifs ». Le tout étant de marquer le chemin. On est conscient quand on entre dans ce genre de démarche qu’on ne révolutionne pas tout, mais des propositions ont pu émerger en termes de grandes orientations et de gouvernance, sur la relation de proximité entre le citoyen et les politiques locales ou en tout cas la prise en compte de la parole du citoyen dans ces enjeux pour la ruralité … Ce qui est regrettable c’est que les politiques territoriales aujourd’hui sont complètement écrasées par de grandes politiques en silo, par thématique. On est dans des logiques d’efficience. 

JP. Rolland : Le premier acquis c’est la création de la plateforme, une sorte de « think tank » pluridisciplinaire, transversal, avec des personnes qui se sont mobilisées durant les trois années, comme c’est votre cas. C’était plus compliqué de mobiliser les chercheurs car les sujets abordés ne pouvaient pas forcément être valorisés dans leurs travaux de recherche. Autre acquis de la démarche :  partager une vision commune, avec l’appui d’expertises externes comme celles de l’INSEE ou du GREC Sud. Je vous rejoins sur la question de la gouvernance qu’on a traité dès la deuxième année du projet et qui est devenue le thème central du dernier document de position en fin du projet. La plateforme a joué un rôle précurseur ! Enfin, soulignons aussi la capacité de la plateforme à se renouveler. On a intégré de nouvelles personnes/structures au fur et à mesure des sujets abordés et notamment les GAL lors de la dernière année, l’adaptation au changement climatique étant au cœur de leur stratégie.

Quel est le point/le sujet abordé au cours de ces 3 années qui vous a particulièrement marqué et que vous souhaiteriez mettre en lumière ?

E. Blot : Nous avons cité quelques points clés qui me semblent essentiels comme le changement climatique. Mais j’y rajouterais bien une notion : c’est l’urgence d’agir. Il serait temps qu’on se bouge ! Il y a besoin d’un vrai bon coup d’accélérateur, de turbo. Il faut que chacun s’engage pour de bon !

B. Giraud : Rien de particulier à rajouter.

JP. Rolland : Il y a des thèmes à approfondir parmi ceux qui ont été déjà cités. Le changement climatique va inévitablement être la porte d’entrée des politiques publiques, et je rejoins la notion d’urgence posée par Eric. Si l’on parle du devenir des territoires, vient tout naturellement la question du tourisme. Le GREC Sud prépare d’ailleurs un dossier sur « tourisme et changement climatique ». 

Selon vous, quels sont les points qui n’ont pas été abordés/traités (ou pas suffisamment) et qui mériteraient de l’être / d’être approfondis ? Et pourquoi ?

B. Giraud : Le tourisme indéniablement qui représente 13% du PIB de la région et qui a des impacts multiples. C’est dommage qu’il n’y ait pas eu, dans la plateforme, de représentant de la chaîne du tourisme institutionnel. On se rend compte à quel point ce secteur est peu résilient ! Sur le tourisme, on aurait pu aller plus loin. Il y a un regard à porter sur le tourisme de proximité, le « slow tourisme ». Mais les choses bougent à l’image de la récente campagne du Comité Régional du Tourisme de la région Sud « Changez de plan ! Explorez le Sud autrement ».

D’autres sujets méritent aussi qu’on s’y attarde comme la gestion de l’eau ou encore le lien ville/ campagne. Il suffit de peu de chose pour atteindre un point de bascule … Cette année on a vu émerger des tensions entre les territoires alpins qui sont des réservoirs pour l’approvisionnement en eau et les territoires comme les Bouches-du-Rhône et du Var. C’est un sujet qui peut devenir conflictuel. 

E. Blot : Evidemment le tourisme. Mais on pourrait creuser d’autre sujets comme l’agriculture et les enjeux qui y sont liés : foncier, circuits courts, relations producteurs-consommateurs. Il y a encore du grain à moudre dans ce domaine ! Les énergies renouvelables aussi, en particulier car il y a eu des évolutions des politiques publiques dans ce domaine. Cela mériterait que l’on se penche sur la manière dont ces évolutions vont impacter les territoires ruraux, en positif comme en négatif.

Enfin, on parlait de gouvernance tout à l’heure, de relation avec le citoyen et de la capacité à faire connaître les réflexions menées dans le cadre de cette plateforme. De manière à leur dire : « vous n’êtes pas tous seuls » dans les territoires ruraux. D’inviter les citoyens à s’emparer de ces sujets. A défaut, ce sont d’autres modes d’expression qui prennent la place, face au sentiment d’abandon ! 

JP Rolland : Le partage de l’eau, c’est bien évidemment un enjeu crucial et transversal, à approfondir. Dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation, il y a des évolutions qui questionnent ! Le COVID avait permis d’accélérer les choses mais il y a des retours en arrière. Et donc, il faut se poser la question du « Pourquoi ce retour en arrière ? » et « Comment on peut renforcer les bonnes pratiques ? ». Cela fait le lien avec un certain nombre de Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) qui se mettent en place et la cohérence entre ces différents programmes. 

Les travaux de l’INSEE sur la définition de la ruralité ont permis de changer la façon de voir les choses. La ruralité existe par elle-même. En revanche, il faut travailler les relations entre espaces ruraux et espaces urbains, car elles existent et elles sont fortes.

B. Giraud : Dans l’objectif de changement de regard sur la ruralité, l’étude de l’ANCT parue en février 2023 met en évidence une diversité de réalités et donc des ruralités. Une typologie qu’il serait intéressant de décliner à l’échelle régionale. Cela permettrait notamment d’orienter les politiques publiques, par exemple sur le tourisme. Dans ce secteur, il y a un déficit de l’observation. La ruralité, dans l’observation du tourisme, ce n’est ni la ville, la mer, ni la montagne. « C’est un truc non défini ». Il suffirait de réorienter les statistiques en s’appuyant sur ces typologies, qui elles, sont très claires ! Et rendre plus factuel le poids économique des différentes destinations pour orienter les politiques, au sens budgétaire. On peut en effet avoir des grands discours sur l’écotourisme et y consacrer 2 % du budget !

Selon vous, quels impacts ces travaux/productions peuvent-ils avoir sur les politiques publiques en faveur de la ruralité ? Et si non, que faire pour y remédier ?

E. Blot : Faire changer les manières de réfléchir et de concevoir les politiques publiques ! Sortir des politiques en silos !  Je me désespère de voir qu’on détricote les politiques territoriales au profit de politiques sectorielles et thématiques. 

B. Giraud : On ne prend pas assez de temps à réfléchir au « comment ». Si toutes ces réflexions ont pu ou peuvent influencer des schémas qui ont force de droit, comme le SRADDET, c’est déjà pas mal ! 

JP Rolland : Les travaux du projet SHERPA ont contribué à alimenter le débat sur la ruralité dans la région Sud dans le contexte d’élaboration et de mise en œuvre des nouveaux programmes FEADER et FEDER/FSE. Ils ont ainsi été utilisés dans le rapport sur la ruralité présenté aux élus régionaux en décembre 2020 sous l’intitulé « Provence-Alpes-Côte d’Azur, une Région tournée vers la ruralité », mais aussi dans le cadre de la révision du SRADDET et du processus d’élaboration des stratégies LEADER. Une façon d’aller plus loin, c’est aussi de travailler sur la question de la gouvernance, ce qui implique ensuite que les réflexions que l’on mène puissent être connues des décideurs publics et des citoyens. D’où l’importance du mode et des circuits de diffusion de nos travaux.

B. Giraud : Je rebondis sur la gouvernance, car cela me fait penser aux clivages qui existent encore entre les logiques territoriales et les logiques sectorielles (les filières). Il est essentiel de favoriser dans les politiques publiques les dispositifs qui croisent les deux approches (sectorielle et territoriale), parce que la vocation du « développement territorial » c’est de croiser l’approche sectorielle et l’approche spatiale. Tel est l’enjeu. Il y a des dispositifs très opérationnels comme les signes de qualité rattachés au terroir (AOC, IGP), qui combinent « filières » et « territoire ». C’est donc possible ! Il serait logique que les politiques publiques favorisent des dispositifs opérationnels qui parviennent à croiser ces deux dimensions. La transition écologique est facilitée par la transversalité. Il est donc important d’encourager les projets ayant une approche transversale, notamment en ce qui concerne l’accès aux financements.

E. Blot : Je souhaiterais « remettre une pincée de sucre sur Leader ». Nous disposons dans notre région aujourd’hui d’une couverture régionale du programme Leader vraiment intéressante. On a là une déclinaison pratique opérationnelle de ce qu’on exprime à travers cette plateforme ! C’est pour nous - opérateurs locaux - un outil de proximité dont on va se saisir ! Mais il faut le voir aussi comme un modèle, un exemple de ce qu’on veut faire.